Jeudi 8 déc. – Panel I. THEME : « Les mutations technologiques et leurs impacts sur le secteur de la communication » Communication de Mme Béatrice COMTE « Les NTIC, une chance pour l’art contemporain africain »

Thèmes abordés :

La situation des arts plastiques modernes en Afrique

Les espoirs suscités par les T I C. Leur danger potentiel.

Chacun n’étant pas familier des arts plastiques modernes en Afrique, d’abord un aperçu historique

A/ La situation des arts plastiques modernes en Afrique

Si, parmi les expressions artistiques de l’Afrique d’aujourd’hui, la musique, la danse , le cinéma, la photo, le design, se font respecter par l’ensemble du monde tant dans leur singularité que dans leur caractère contemporain, les arts plastiques rencontrent pour leur part beaucoup plus de difficultés.

Longtemps après les indépendances, les créations plastiques signées par des artistes sub-sahariens  sont très généralement soit restées inconnues du reste du monde, soit ont été assimilées à des productions ethniques au mieux, exotiques au pire.

L’occident ne les regardait qu’à travers son propre filtre, ne les jugeait que selon ses propres critères. L’Afrique esthétique était de toute façon celle des masques, des figures rituelles, des objets quotidiens, que les collectionneurs admiraient sans se soucier beaucoup de les comprendre ( les anthropologues au moins avaient fait cet effort).

L ‘Afrique était priée d’en rester là : n’a-t-on pas  d’ailleurs entendu il y a quelques années encore qu’elle n’était pas entrée dans l’histoire? Comment eût-elle investi le monde de plus en plus difficile à décrypter de ce qu’il est convenu de nommer l’art « contemporain » –  en fait l’art  considéré comme objet de spéculation?

Comme si tout art n’était pas contemporain à son époque!  Et contemporain tout autant du contexte dans lequel il s’élabore, du passé dans lequel il s’ancre, et aussi du rapport au monde qu’entretiennent ceux qui le pratiquent.

Le  premier festival des arts nègres imaginé par Senghor lui-même pour « affirmer la contribution des artistes et écrivains noirs aux grands courants universels de pensée », finalement organisé en 1966, consacrait en fait peu de place à la modernité plastique. Il n’eut pas de suite, à l’exception d’une fort modeste  seconde édition, en 1977. Puis les plasticiens d’Afrique subsaharienne furent réduit à oeuvrer dans une quasi indifférence pendant près de 30 ans.  Quelques expositions dans les centres culturels, quelques manifestations de faible rayonnement, aucun travail critique, peu de relais, aucune insertion dans le fameux « monde de l’art »..

En 1989 la fameuse exposition « Les magiciens de la Terre »  servit sans doute de déclencheur, bien qu’elle mît à part égales l’Occident  d’un côté, et tout le reste du monde de l’autre, et bien qu’elle  portât encore son attention sur l’ethnique et le mystérieux. Quoi qu’il en soit, vers les années 90,  la situation de la création plastique africaine commença à frémir : création de la Biennale de Dakar, des Rencontres photographiques de Bamako, de la Biennale de Johannesbourg. Pour évoquer seulement les manifestations qui ont pu rester pérennes.  Car nombre d’expériences sont restées sans lendemain, faute de capitaux, de structures, de relais hors du continent comme à l’intérieur du continent, telle la biennale Bantoue guinéenne (equ.) ou celle d’Abidjan. Des revues spécialisées apparurent et s’éteignirent , comme la Revue Noire, ou la revue Glendora, aujourd’hui toutes deux disparues (2001 et 2004)

Quelques collectionneurs par ailleurs, André Mangin, Agnès B, et surtout Jean Pigozzi  –  qui, lui, parcourait personnellement et sans relâche le continent pour en découvrir les créateurs,  quelques collectionneurs donc ont commencé à faire circuler les oeuvres acquises.

Mais il faut attendre les années 2000 pour que les grandes expositions consacrées à la création africaine d’aujourd’hui se multiplient ( et plus souvent dans les pays anglo-saxons ou germanophones qu’en France ). L’Afrique subsaharienne crée alors nombre de nouvelles manifestations, comme la Triennale de Luanda ou la Biennale des arts visuels de Douala. C’est  en janvier 2011 seulement qu’a enfin eu lieu à Dakar la 3 ème édition du Festival des arts nègres : grandiose, mais généraliste, elle fait tojours des arts plastiques d’aujourd’hui un parent plutôt pauvre.

Même si la visibilité des créateurs africains d’aujourd’hui s’améliore nettement et rapidement ( le musée du Quai Branly -en principe chantre de l’art ancien-  programme régulièrement des artistes actuels issus du continent ou de ses diasporas ), elle est encore faible et promeut essentiellement quelques vedettes entrées dans le champ spéculatif (Chéri Samba, Ousmane Sow).

La critique occidentale relaye fort peu, exception notable faite en ce qui concerne la première et grande  manifestation d’envergure intitulée Africa Remix, qui a présenté un panorama relativement représentatif de l’art spécifiquement africain d’aujourd’hui à Dusseldorf, Londres, Paris et Tokyo en 2005/2006. Les critères de choix et d’appréciation de cette critique occidentale demeurent ceux qu’elles appliquent à ses propres créateurs. Citons la 5 ème Biennale contestée de Lyon, en 2000, dont le titre valait discours : « Partage d’exotismes »!

Heureusement, de plus en plus, interviennent des critiques et analystes africains vivant en Afrique, tel le professeur d’esthétique sénégalais  ( merci d’excuser ma prononciation ) Djaji Iba Ndiaye. Heureusement, de plus en plus, des commissaires et des experts africains  s’intègrent aux instances de légitimations concernant la création actuelle du continent : ainsi Simon Djami -un français de racines camerounaises, ou Hama Goro, un malien né au pays Dogon, formé à Bamako, Los Angelès, Amsterdam et Paris, créateur dans son pays de Soleil d’Afrique, une précieuse  plate-forme de formation, d’exposition et de rencontres. Hama Goro a  comme Ndiaye l’immense vertu de travailler en Afrique pour l’Afrique. L’association Ouag’art avait en son temps  eu un rôle d’avant garde et absolument fondamental en ouvrant  au Burkina Faso des ateliers de même nature pendant quelques années à compter de 1993, mais  Ouagart était animé par un occidental, le directeur du centre culturel français.

Les créateurs contemporains existent en Afrique sub-saharienne. Nombreux. Passionnants. Inventifs, Dynamiques. Mais ils sont peu connus dans les autres continents, voir même dans leur propre continent, dont les traditions valorisent peu la promotion du moi et la création individuelle.

Ils éprouvent  les plus grandes difficultés à s’informer sur ce qui se passe loin de leur atelier : la délivrance parcimonieuse de visas et le manque d’argent rendent les voyages de découverte difficiles;  les livres et les catalogues sont rares et chers… et certes pas des produits de première nécessité.  Les circonstances politiques ne facilitent pas non plus le voyage inter africain.

De plus, quand ils sont reconnus, ces créateurs ont du mal à faire entendre leur singularité, tout simplement à se faire réellement comprendre, à se faire correctement apprécier pour ce qu’ils sont, dès lors qu’ils ne répondent pas aux modes  si changeantes « du marché international », qui traite l’art comme une marchandise. Ainsi certains génies dont la création recèle un sens religieux, africaniste, comme  l’ivoirien Frédéric Bruly Bouabré  qui syllabise de façon originale et historiée la langue bété,  certains génies sont admirés sur un plan purement esthétique, ce qui dénature le sens de leurs oeuvres. Au risque d’être schématique, on peut en effet dire que l’occident a renoncé au sens dans l’art, alors que l’Afrique n’imagine pas de créer sans être porteuse de sens. Ceci provoque d’immenses malentendus.

B/  Les espoirs suscités par les T I C. Leur danger potentiel.

Il se trouve que le développement des nouvelles T I C peut être la chance, la très grande chance des arts visuels de l’Afrique sub-saharienne. Il devient fondamental pour les créateurs d’Afrique d’avoir accès à Internet, et de l’utiliser.

1/ Premièrement :  les nouvelles TIC représentent la chance de s’informer sans déplacements coûteux ni visas hypothétiques.

La promenade assidue sur le Web permet en effet de prendre connaissance de  plusieurs informations d’importance. Ainsi seront à leur portée, au moins partiellement, en texte comme en images  :

☛ D’abord l’histoire de l’art du monde entier. Visites visuelles de musées, textes informatifs, etc… Certains ouvrages sont consultables gratuitement. Le savoir est toujours un atout. Le voici accessible aux autodidactes.

☛ Aussi les pratiques et productions plastiques les plus actuelles de tous les continents. De l’installation à l’animation éphémère, de la photo repeinte à la vogue de la copie conforme des anciens, ils seront au courant des caprices contemporains, du surgissement récent et successif des artistes contemporains d’Europe de l’est, d’Amérique latine et de Chine ( qui permet du reste d’espérer le tour prochain de l ‘Afrique ).  Beaucoup d’artistes s’expliquent sur eux-mêmes dans le cadre de leur site. Des critiques sont reproduites sur le Web. Les informations pédagogiques sur les diverses techniques artistiques sont nombreuses.

☛ Encore l’évolution des tendances  du marché de l’art se découvre au jour le jour à qui cherche avec attention et constance. Les créateurs africains deviennent ainsi consciemment en mesure de se situer dans ou hors  des chaotiques courants de la modernité d’ailleurs. Ils seront plus à même de jouer, s’ils le veulent, leur propre partition

☛ Enfin et peut-être surtout le travail des autre plasticiens africains. Ainsi  chacun sera-t-il conforté dans son aptitude à rendre compte du monde qui est le sien, selon des pratiques qui s’ancre dans son histoire, sa terre, sa société. Les plasticiens d’Afrique, sachant qu’ils ne sont pas seuls, n’accepteront plus qu’on leur reproche une palette pigmentaire aux couleurs ocrées de leur terre, de leur environnement. Ils revendiqueront le droit de rendre compte de la réalité dans laquelle ils vivent, sans se laisser dicter les lois d’une prétendue esthétique globalisée. Ils feront valoir leur sens du commentaire ironique plutôt que de la critique directe. Ils mesureront la spécificité absolue et enrichissante de leur apport. Et refuseront tout suivisme imposé par « le marché », sachant la valeur de leur originalité

2/ Deuxièmement :  les nouvelles T I C représentent la chance de se faire connaître même sans passer par les circuits consacrés:

☛ Chacun peut créer un site internet sur lequel montrer et son travail, et éventuellement donner quelques éléments d’explication à son propos.

La formation à l’informatique devient certes une nécessité. Mais un site comme -ce n’est qu’un exemple- Ars Ante Africa réalise des sites, rédiges biographies et commentaires, assure un travail de communication et de diffusion; Il est cher (20 000 francs CFA), mais il accepte des oeuvres en paiement. Ce site constitue en effet une artothèque.

☛Les artistes plasticiens d’Afrique, grâce aux réseaux sociaux, deviennent en mesure de se connaître les uns des autres à travers tout le continent,  d’échanger leurs vues et leurs problèmes,  de s’enrichir les uns par les autres, de se regrouper s’ils en éprouvent le besoin en associations virtuelles. Il existe par exemple actuellement sur le Web un site nommé Afrique virtuelle, qui se définit comme un réseau international d’échange d’idées entre intellectuels, scientifiques et artistes de l’Afrique et de ses Diasporas. Il faut de toutes manières activement surfer, beaucoup de sites ayant une existence éphémère.

☛ les créateurs africains peuvent parfois grâce aux T I C réussir à toucher acheteurs et collectionneurs, et à vendre sans passer par les intermédiaires obligés.  C’est encore difficile, mais l’évolution semble aller de plus en plus dans ce sens.

Il leur est loisible encore de prendre connaissance des diverses manifestations auxquelles ils sont à même de participer, et de s’y inscrire.

☛Ainsi, les nouvelles T I C, du téléphone portable à internet, sont la chance pour les artistes sub-sahariens de rompre l’isolement, la solitude et l’incompréhension qui fut jusqu’ici souvent leur fardeau.

3/ Troisièmement : rien n’était parfait, les nouvelles T I C présentent néanmoins un danger sérieux.

☛Ce danger est celui de la soumission, à travers un excès d’information et (en cas de chance, en raison de  sollicitation), à une esthétique globalisée. C’est celui de céder aux sirènes de la marchandisation, et de produire des oeuvres dans l’air du temps, séduisantes pour les acheteurs internationaux. La connaissace est toujours une chance…mais le Dieu judéo-chrétien a maudit l’homme pour en avoir goûté les fruits. La création africaine possède suffisamment d’atouts pour se défendre telle qu’en elle- même, et ne pas se fondre dans une uniformité désolante qui marquerait la mort de la création africaine au lieu de marquer sa renaissance déjà bien amorcée. Il lui appartient de se faire entendre pour ce qu’elle est en profondeur.

☛Ainsi, si Africa Remix a ouvert les yeux du monde sur la vitalité gréatrice africaine, il n’est pas certain que  les visiteurs de cette exposition ait vraiment compris ce qu’ils voyaient. Songeons à l’oeuvre d’un artiste angolais: l’original était un fauteuil de chef réalisé avec des Kalachnikof ayant servi au cours d’événements sanglants. Elle avait été reconstituée avec des armes flambantes neuves. On passait ainsi du témoignage critique au kitsch. Songeons encore à ce somptueux et monumental manteau à traine chatoyant, composé de capsules récupérées  par terre de bière et de soda. On l’admirait refaite en capsules neuves : le sens donné à la récupération comme vecteur de beauté et de dignité avait disparu au profit d’une gamme colorée flatteuse

☛Terminons néanmoins sur sur une note optimiste. Les biennales de Dakar  et de Bamako  présentent officiellement des oeuvres compréhensibles à l’oeil international et récupérables par le sacro-saint marché.  Mais les commissaires ne sont désormais plus occidentaux. Et surtout des biennales « Off » se sont développées considérablement dans leur sillages depuis le début des années 2000 ( 50 expositions Off à dakar en 2000, 160 en 2010 -parmi lesquels beaucoup d’expositions collectives). Et c’est en réalité là, à chaque coin de rue, dans chaque hôtel, dans chaque  boutique ou entrepôt, dans des demeures privées, c’est en réalité là que bat la réalité, la vérité, l’authenticité de la création plastique d’Afrique, qui ne refuse pas de se mêler et confronter à la créations d’artistes venus d’autres continents

Conclusion

Laissons la conclusion à un architecte Burkinabé de 46 ans, qui  -délaissant le béton comme le verre- réhabilite et modernise l’architecture de terre et de pierre. Vivant entre Allemagne et Burkina, Diédébo Francis Kéré affirme :  » Global ne signifie pas que c’est le plus fort qui diffuse son savoir. Il faut aussi apprendre des autres cultures. L’Afrique ne doit pas copier l’Occident, mais faire avec ce qu’elle possède : de la terre, des gens, et de l’enthousiasme ».

Print Friendly, PDF & Email

Articles Recommandés

Sortie de promotion à l’ISTIC : une soixantaine de journalistes prêts à servir

Sig-Burkina

GOUV. ACTIONS : Promotion de l’auto-emploi, le PADEL octroie des microcrédits aux fils et filles de la région du Centre-Sud

Sig-Burkina

Communiqué : deuil national de 48 heures

Sig-Burkina

Ce site utilise des cookies pour améliorer votre expérience. Nous supposerons que vous êtes d'accord avec cela, mais vous pouvez vous désinscrire si vous le souhaitez. Accepter En savoir plus...